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OUBANASS, UNE IMAGINATION DEBORDANTE

LES HOMMES DE MON KSAR


OUBANASS, UNE IMAGINATION DEBORDANTE ! 

Qui de Goulmima Ksar ou tout simplement de Goulmima ne connaît Sidi Moh (Agouram) connu sous le nom d’Oubanass ?

Bien que Sidi Moh appartienne au groupement d’igouramene  connus  pour leur rigueur dans la pratique et le respect de tout ce qui se rapporte à la religion, Sidi Moh, lui ne manque pas de participer à tout ce que pratiquent les hommes de sa génération. Tout en exploitant les offrandes que déposaient les femmes dans le mausolée de Sidi Mohamed ou Abderrahmane, le saint patron d’Ighrem connu plus sous le nom de “Bou Oufarssig” et dont il détenait les clés, Sidi Moh pariait avec ses amis en jouant aux cartes (L3ita. Il misait toujours sur la même carte qui était la carte 5 (sinco) ! Le jour de la fête du Mouloudn Il participait en tant que 3issawi à la hadra organisée pour la circonstance. Chaque été, il se rendait à Azaghar durant la période des moissons pour y travailler en tant qu’Achouwal.

Sidi Moh avait un vœu et un souhait qui lui tenait à cœur mais qu’il ne pouvait pas le réalisé faute de moyens financiers. Ce vœu était de se rendre à la Mecque pour effectuer un pèlerinage. Avec l’âge, ce désir qui l’habitait durant des années a fini par se concrétisait dans son esprit au point où il n’hésitait pas à nous raconter les péripéties de son voyage à la Mecque. Et voici ce que Sidi Moh nous disait:

J’ai quitté Goulmima une après midi de mars après avoir fini d’irriguer un champ de fèves à Tighazouine. J’ai marché durant huit jours avant d’arriver à “Zouj Bghal” (passage frontalier entre le Maroc et l’Algérie). À ce poste, j’ai trouvé un tunisien qui portait le prénom de Mahmoud et qui se rendait à Ouazzane dans le pays des Jbalas pour se recueillir après sur la tombe de Moulay Abdessalam avant de se rendre comme moi à la Mecque. Après avoir discuté longuement avec lui, je suis arrivé à le convaincre de privilégier le voyage au Machreq et de reporter à une date ultérieure son voyage au mausolée de Moulay Abdeslam Ben Mchich ( Un saint soufi idrisside, qui a été enterré dans la région de Beni Arous). 

La traversée de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye s’était bien déroulée. Nous n’avions rencontré de problème qu’une fois arrivés en Égypte. Nous étions obligés de traverser le canal de Suez à la nage et Mahmoud ne savait pas nager. Finalement nous sommes montés en califourchon sur un tronc de palmier qui était au bord du canal et nous avons ramé avec nos mains  jusqu’à l’autre rive.

Hélas, après notre arrivée sur l’autre rive du canal, j’étais obligé de me séparer de Mahmoud. Je n’ai pas apprécié qu’il m’ait dit durant tout le voyage qu’il était sans argent comme moi; or après la traversée du canal, il était obligé de retirer une liasse de billets mouillés qu’il avait cachée dans la semelle de ses souliers pour les sécher. Je lui ai alors dit, Mahmoud, prend ton chemin, je prends le mien. 

La traversée du Sinaï a duré trois jours avant d’arriver au lieu dit Charm Cheikh. Une station balnéaire égyptienne où les hôtels s’alignaient au bord de l’eau. Le lendemain matin de mon arrivée, je marchais les pieds dans l’eau sur le sable fin de la plage, quand soudain j’entendis quelqu’un appeler Sidi Moh, Sidi Moh ! Je me retourne et je vis un militaire galonné qui me tend la main et qui me dit.

- Tu es bien Oubanass de Goulmima?

- Oui c’est bien moi, et toi qui es-tu ?

- Tu te souviens d’Ibbote, le juif qui finançait l’achat de vaches pour de nombreuses familles de Goulmima, de Touroug et de Mellab ?

- Oui je me souviens bien de lui. D’ailleurs chaque vendredi après-midi, durant l’été, je ne manquais pas d’échanger avec son épouse un pannier de prunes contre un plat de Skhina qu’elle cuisinait ce jour. Leur fils Meyer, les aimait beaucoup.

- C’est Meyer à qui tu offrais des prunes qui est debout devant toi !

- Allahou akbar ! Et qu’est-ce que sont devenus les membres de ta famille ?

- Après le décès de mon père brûlé accidentellement à Goulmima, ma mère, mon frère ma sœur et moi avions déménagé à Ksar-Es-Souk (Errachidia) et après le décès de ma mère qui est enterrée à Ksar-Es-Souk dans le même cimetière que mon père, nous avons quitté le Maroc pour Israël. Ma sœur a fait des études de médecine, mon frère dirige une société d’import-export et moi je suis colonel major dans l’armée israélienne.

- Et toi, que fais-tu ici sur le territoire d’Israël ?

- Pourquoi, ne suis-je pas à Charm Cheikh en Égypte ?

- Non, tu es en Israël. Le territoire égyptien est derrière toi !

- Et que faut-il faire maintenant lui ai-je demandé ?

- Attends-moi ici cinq minutes et surtout ne bouge pas d’ici avant que je revienne. Les agents de la sécurité peuvent t’arrêter et te différer devant un juge pour ta présence illégale sur le territoire d’Israël! 

Quelques minutes plus tard, Meyer arrive sur un hors-bord  accompagné de deux marins israéliens à qui il ordonne après m’avoir remis une enveloppe contenant 500 dollars de me conduire jusqu’au port d’Aqaba en Jordanie. 

Le paysage entre Aqaba et l’Arabie Saoudite ne diffère pas de celui de “Tazoughmite” entre Goulmima et Tadighouste ! Un paysage inhospitalier où un berger trouverait du mal à regrouper toutes les chèvres de son troupeau ! Un jour après, me voilà à Bir Ali aux abords de la Mecque pour accomplir les formalités de “l’Ihram”. Je ne vais pas tarder sur le rituel du Haj que j’ai effectué sans problème. Je me contente juste de rappeler que lors d’un déjeuner offert en mon honneur par l’imam de la grande mosquée de la Mecque, J’ai attiré l’attention de mon hôte qui était un grand dignitaire wahabite sur l’état d’une poutre de soutènement dans un tunnel entre la Mecque et Minane. J’ai en effet remarqué en traversant ce tunnel entre qu’une des poutres principales du tunnel présentait des signes d’une possible rupture. Cette poutre a été certainement coupée d’un palmier atteint de la maladie de bayoude. Une année après, ce tunnel s’est effondré et a tué plusieurs centaines de pèlerins.  Pour ce qui concerne mon retour, j’ai suivi une caravane qui partait de la Mecque vers Jeddah et j’ai traversé la mer rouge sur un vieux voilier qu’un groupe de soudanais avait loué. J’ai continué ma marche en solitaire jusqu’au Caire. Arrivé après l’Asr sur une place où de jeunes garçons jouaient au football, j’ai demandé au jeune qui gardait les buts, où se trouve la maison de Housni Moubarak ?  le garçon me dit que c’est la maison qui est en face de leur terrain de jeu en ajoutant que le fils du Raiss est celui qui porte le numéro 6 et qui joue avec eux. J’appelle le fils de Moubarak et lui dit d’aller avertir son père de ma présence. Quelques minutes après, deux grands moustachus portant un turban et une longue gandoura sortent de la maison et viennent me dire que le Raiss m’attend. En me voyant Housni ne put retenir sa joie et me cria en me prenant dans ses bras: Bienvenue à Sidi Moh l’Agouram de Ghriss. En tapant sur ses mains, deux serviteurs nous présentèrent deux grands bols plein de fèves bouillies dans de l’eau salée et saupoudrées de cumin. Moubarak voulait me retenir chez-lui trois jours, mais j’ai expliqué au Raiss que la Hadra du Mouloud à Boufarssig m’attend à Goulmima et que je dois le quitter. Il appelle son chauffeur et lui ordonne de me conduire dans sa voiture personnelle et de ne me déposer que chez son ami M3amar Kadhafi. Nous avons roulé deux jours et une nuit avant que la voiture s’arrête devant la grande tente du grand Guide libyen. 

- Quelle joie de te rencontrer s’écria Kadhafi en me voyant. Il me fait assoir à côté de lui sur une natte tressée avec du Doum puis appelle une de ses garde-corps dont la poitrine déborde de générosité et lui dit de nous servir du lait de chamelle et des dattes. Un de ses proches vient lui annoncer que le Président Français attend d’être reçu. Le guide d’un geste de la main dit a son conseiller de faire patienter le Roumi. Sidi Moh Agouram Agouram passe avant lui. Ne voulant pas abuser de son temps et de son hospitalité je prétexte la Hadra et je demande à M3amer de me laisser partir. Il fait venir une jeep bâchée et ordonne au chauffeur de prendre soin de moi et de me transporter jusqu’à Oujda. 

La traversée du sud de la Tunisie et de l’Algérie fut faite d’un seul trait. On ne s’arrêtait que pour manger. L’arrière de la jeep contenait assez de provisions. M3amer nous a même gratifié de viande séchée de dromadaire (Assawar n’oulghoum). Arrivés à Oujda le chauffeur me dépose et repart vers la Libye. À Oujda, je n’ai pas de difficultés à retrouver la maison du gouverneur. Je fus accueilli avec beaucoup de joie par Lhaja, l’épouse du gouverneur. Non seulement cette dame au grand cœur est issue d’une grande famille de mon Ksar, mais nous avions suivi avec d’autres filles et garçons l’apprentissage du Coran dans la Medersa sous la conduite de Sidi Ahmed, l’imam d’Ighrem. Au troisième jour, j’ai dit à Lhaja, diafte n’nbi telt liyam). Il est temps que je parte et je dois passer par “Petit-Jean” (Sidi Kacem). Lhaja me remet une bonne somme d’argent et demande au chauffeur de me déposer à la gare ferroviaire d’Oujda. Au moment de quitter mes hôtes, le Gouverneur me remet une enveloppe en me disant de la remettre au Caïd Ali de Goulmima pour que je sois envoyé l’année suivante pour une deuxième fois à la Mecque. En sortant du garage de la maison,  voyant une épicerie devant la maison du gouverneur, je demande au chauffeur si c’est l’épicerie où Lhaja s’approvisionne. Il me répondit par l’affirmative. Je lui demande alors de s’arrêter une minute. Je descends de la voiture et je rentre dans cette échoppe qui est aussi grande que celle d’Ait Oussakak. Je demande à l’épicier de me servir une bouteille d’un litre de coca-cola. Après avoir pris la bouteille, je lui dis d’ajouter le prix de la boisson sur le carnet de crédit de Lhaja. Je regagne la voiture et nous prîmes la route vers la gare ferroviaire . J’arrive à Sidi Kacem (Petit-Jean) vers dix heures du matin. C’était le jour du souk hebdomadaire de la région. Avec une partie de ce que j’avais comme argent , j’achète un âne au poils blonds et je prends le chemin vers Ghriss. À Meknès je m’arrête au quelques instant pour me recueillir sur la tombe de Cheikh Al Kamel Al Haddi Ben Aissa qui est pour nous Aissaoua notre maître spirituel avant de continuer ma route vers Azrou.

A Azrou, j’entendis le crieur publique annoncer que dans le cadre de la fête du cèdre que cette ville du Moyen-Atlas abrite chaque année, une course d’ânes se tiendra l’après-midi au quartier Ahadaf. Sans hésiter un instant, j’ai décidé de participer à cette course en insistant pour que le numéro cinq soit attribué à mon âne ! Comme je l’espérait mon âne remporte la course en laissant derrière lui tous les ânes du Moyen-Atlas. Le Caïd d’Azrou passe une médaille autour du cou de mon âne et me remet le prix qui consiste en un quintal d’orge. Un riche paysan d’El Hajeb voulait à tout prix acquérir mon âne. Après plusieurs minutes de marchandage je lui vends mon âne pour un prix quatre fois plus élevé que son prix d’achat. Je lui vend également le quintal d’orge et me rends à la sortie d’Azrou vers Errachidia pour attendre le passage du camion d’Ait Sidi Omar que conduisait Hmad ou Ali. Arrivé à goulmima une grande fête fut organisée en mon honneur à “Inourir. Un mois après mon retour à goulmima, je me rend  chez le Caïd Ali pour lui remettre la lettre que le gouverneur d’Oujda m’a remise pour mon inscription au prochain voyage à la Mecque. Le Caïd Ali n’avait pas tenu la promesse qu’il m’avait faite en me recevant car au moment des inscriptions au Haj, c’est un nomme Lhou Chakor de Magamane que le Caïd envoya à ma place !

Ainsi furent les péripéties du voyage à la Mecque de Sidi-Moh. Et j’espère que de là ou il est, il me pardonnera les quelques imprécisions que contient mon récit. 

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