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SFIA LA COURTISANE (1ere Partie)

SFIA LA COURTISANE (1ere partie)

Chapitre 1 : La fugue

 La jeune Sfia ramassa discrètement ses quelques habits et jeta un dernier coup d’œil du coté de la chambre de ses parents. Elle essuya une larme chaude qui coula sur sa joue et se pinça les lèvres pour étouffer ses  sanglots.

Sa décision de quitter le domicile paternel  était prise depuis que Rabha son amie lui a révélé que toutes les femmes de son ksar sont au courant de la relation qu’elle entretient avec Haddou ou Hro, un homme qui a l’âge de son père et dont elle est devenue la maitresse.

C’est aussi Rabha qui lui dit qu’à chaque fois qu’elle se rend au bord de l’oued pour laver son linge, les femmes présentes, ne se privaient pas de jeter des regards furtifs vers son ventre afin de détecter un signe de son éventuelle grossesse..

Ce qui n’était pas le cas, même si son corps s’est bien métamorphosé depuis qu’elle couchait avec son amant.

Au moment où elle allait quitter la maison, la porte de la chambre de ses parents s’ouvrit et sa mère se précipita vers elle. Elle lui fit signe de se taire, la prend  dans ses bras et l’enlaça avec tendresse. L’instinct de mère et l’amour maternel avaient pris le dessus sur toute autre considération. La mère et la fille restèrent longtemps enlacées et pleurèrent sans se dire un mot..

-          Pardonne-moi maman. Prie pour moi. Je compte sur toi pour trouver une histoire à raconter à mon père. Tu sauras le calmer et puis le fait que je ne sois pas devant lui réduira certainement sa souffrance..

C’est en disant ces paroles que Sfia se détacha de sa mère et poussa la porte de sortie de la maison..

Dis moi d’abord ma fille, qulle direction vas-tu prendre lui demanda sa mère..

-          Je te ferai savoir où je suis une fois que je serai installée. Ne te fais pas de soucis pour moi et prends soin de toi  chère maman..Sfia se dirigera vers la petite gare routière de ce petit village du moyen Atlas, avec l’espoir de trouver un moyen de transport pour quitter  son village avant le réveil des gens.

Il ne fallu pas longtemps qu’un vieux car s’arrêta devant le minuscule local qui servait de gare routière. Le graisseur descendit du car et commença à crier « Sahra, Sahra » Sfia lui tendit son baluchon et monta dans le car. Elle s’installa à coté d’une belle femme d’une trentaine d’années. Cette dernière lui demanda, si sa destination est Ksar-es-Souk (Errachidia). Sfia lui dit qu’elle pense continuer son chemin vers Goulmima ou Tinejdad. Il parait que là-bas, je pourrais trouver où loger, lui dit-elle.

La femme lui dit alors :.

Je m’appelle Yamna, je suis installée moi, ma sœur et une autre fille à Goulmima. Si ça te dit, tu peux venir te joindre à nous. A Goulmima les gens sont généreux et fêtards. Tu verras, l’ambiance te plaira et tu feras rapidement beaucoup d’argent. Mais tu peux aussi t’installer chez une autre « consœur » qui sera ravie de t’accueillir, car des quatre filles qu’elle logeait, deux l’ont quittée il y a deux semaines et sont allées s’installer à Tinejdad.Sfia demanda à son accompagnatrice si elle pouvait lui montrer la maison de sa consœur..

Arrivées à Goulmima, les deux femmes se dirigèrent vers le quartier de « Darte Souk » qui était le quartier chaud du village.

Il est à peine dix heures quand Yamna donna avec la paume de sa main trois coups sur la porte de la maison de sa consœur. Quelques instants après, une femme d’âge mûre ouvrit la porte.

-           Bonjour Aicha lui dit Yamna. J’espère que je ne t’ai pas réveillée ?

-          Non Répondit l’autre femme. Je suis matinale, même si chaque nuit, nous nous couchons tard.

-          Je te présente Sfia, c’est une nouvelle dans le métier. Elle vient à peine de quitter le domicile de ses parents.

Je sais que « Pepsi » et « Laghzaoui » t’ont quitté pour aller travailler à leur compte à Tinejdad. Aussi j’ai pensé que Sfia serait la bien venue chez-toi. Prends soin d’elle c’est une débutante, il faut l'initier et lui apprendre les astuces du métier.

-           Je te remercie d’avoir pensé à moi. Entre « patronnes » il faut qu’on s’entraide. D’ailleurs pendant ton absence, j’avais envoyé trois clients de Tinghir chez ta sœur. Lorsqu’ils se sont présentés chez-moi, j’étais au complet et je ne pouvais pas les recevoir.

Les deux patronnes se donnèrent des nouvelles, échangèrent quelques informations et s’embrassèrent avant de se quitter. Aicha demanda à Sfia de la suivre, elle lui montra sa chambre qui sera aussi son local de travail.

 

 Chapitre 2 : L’initiation

Sfia ne se réveilla que vers 16h, après avoir mangé le reste du tajine que lui ont laissé les trois autres filles, elle fut invitée par Aicha à l’accompagner au Hammam.

Cette fois-ci je t’accompagne, mais pour les prochaines fois tu partiras avec les deux autres filles. Et c’est chaque mercredi après-midi, lui dit Aicha. Au hammam Aicha et Sfia trouvèrent d’autre femmes qui prenaient leur bain. Et même si le Hammam  n’est ouvert en cette tranche de la journée qu’aux femmes, celles qui étaient à l’intérieur n’étaient pas toutes nues. Les femmes Ghrissoises sont très pudiques. Aussi l’introduction d’Aicha et de Sfia en tenue d’Eve les avait surpris.

Le regard de certaines  ne tardèrent pas sur le corps de Aicha qui reste ferme malgré la quarantaine passée. C’est sur le corps élancé et sans un gramme de cellulite de Sfia  que les regards se posèrent. Sfia sentit ces regards qu’elle ne savait pas s’ils étaient des regards envieux ou admiratifs rougit et demanda à Aicha s’il n’est préférable de se vêtir d’un petit quelque chose qui cacherait les partie intimes de son anatomie.

Non, non lui dit Aicha. Nous sommes entre femmes. Tu es belle et c’est Dieu qui t’a faite ainsi. Toutes ces femmes y compris moi-même étions comme toi il y avait une vingtaine d’année. Mais le temps a fait son travail et nos corps ne sont plus aussi fermes que le tien !

Tiens passe moi le savon sur le dos le temps que je débarrasse mes cheveux du Ghassoul lui dit Aicha.

Les deux femmes ne quittèrent le hammam que vers dix-neuf heures.

Sur le chemin de retour, Aicha commença l’initiation de Sfia. Elle lui dit que si à la maison elle peut rire aux éclats et marcher en hochant les fesses, dehors la discrétion et de rigueur. La marche doit être une marche qui n’attire pas les regards des hommes. La parole ne doit pas être adressée qu’aux femmes et doit se limiter « la3awnmte ».

De toutes façons ce soir je t’apprendrai quelques astuces du métier. Tu ne commenceras ton travail que demain.

Le soir Sfia ne participa à la soirée avec  Aicha et les deux autres femmes. Elle s’occupa à ranger ses quelques affaires dans une armoire en contre-plaqué, dont les portes fermaient mal.

Vers vingt-trois heures Aicha vint la rejoindre. Elle s’assit à coté d’elle et lui dit :

Ecoute ma petite ce que je vais te dire.

Première règle incontournable à observer est de ne jamais tomber amoureuse d’un homme. Un homme  pour toi n’est autre qu’un client, il doit toujours le rester.

Deuxième règle : pas de gratuité ! Tu es là pour faire de l’argent, fais-toi payée avant, surtout pour les hommes que tu rencontres pour la première fois.

Troisième règle : Sois gentille avec tes clients, Fais semblant de participer et d’aimer ce que tu fais, les hommes durant l’acte pensent plus à leur plaisir qu’au tien qui est leur dernier souci. Tu vas avoir affaire à différentes personnes. Les étudiants et lycéens viennent plus pour prendre du thé, chanter et s’éclater. C’est ce qu’ils appellent entre eux « an sdèksalloune ». ça leur arrive aussi d’aller plus loin sans jamais payer plus que le tarif.

Les vieux célibataires et les veufs, eux se passent de ce genre d’amusements. Ils viennent pour se soulager et le font à la vite-fait. D’habitude, ils choisissent les moments ou les alentours des maisons closes  sont moins fréquentés et dépourvus de passants.

Quatrième et dernière règle : Pour fidéliser tes clients, fais de sorte que pendant la séance du thé et avant que tu les accompagnes dans ta chambre, essaie de détecter ce qui les fait venir chez-nous. Ils doivent avoir un manque quelques parts. Essaie de connaitre leur manque et procure leur ce qu’ils ne trouvent pas auprès de leurs femmes. Accompagne-les dans leurs fantasmes. Tu feras d’eux de bons et fideles clients et des accros du plaisir que tu leur procures.

Autre choses, certains hommes jouent à « l’homme » dans leurs foyers avec leurs épouses, alors qu’ils aimeraient être dominés. Si tu en détectes quelques uns n’hésite pas à t’imposer et prendre en main les choses.

Ah, j’allais oublier ; tu pourras voyager ou aller voir ta famille si tu le veux. Mais une fois par mois pendant tes cinq jours d’indisposition. A partir de demain, je vais annoncer ton arrivée et ta présence chez-moi à quelques hauts fonctionnaires et notables. Certainement qu’ils vont venir te voir. Pour le grand public, ça sera à partir de la semaine prochaine.

-          Dors bien ma petite. Demain les choses sérieuses vont commencer pour toi.

Aicha quitta la chambre de Sfia et alla vérifier si la porte de la maison était bien fermée après qu’elle ait entendu sortir les derniers clients.

 

 Chapitre 3 : Un emploi du temps minuté

Quelque soit l’heure où les filles se couchent, le réveil est à 9h00. Elles n’ont pas la charge d’aller faucher la luzerne pour le bétail comme le font les femmes des ksars. Après le petit déjeuner, suivent les travaux de ménage. Afin de réduire tout contact avec les hommes en dehors de leurs maisons, et contrairement à d’autres femmes qui vont laver leur linge au bord de la séguia, le lavage des habits se fait à la maison dans une bassine faite de la moitié d’un fut métallique servant à transporter de l’huile pour engins. Au moment où les trois filles s’occupent de ces tâches ménagères, Aicha, se rend au marché pour acheter de quoi préparer le déjeuner. Généralement les diners sont pris avec des clients qui s’approvisionnent de quoi faire la fête avant de venir le soir.

Après le déjeuner c’est une sieste qui dure du Dorh à l’Asr. Ces deux heures de sommeil compensent celles perdues la nuit.

Sauf les mercredis où les femmes se rendent au hammam, la réception des clients commence vers 16 heures et se prolonge j’jusqu’a minuit. Après cette heure ne reste à la maison que les personnes qui ont réservé la nuitée !

Il n’est pas garanti de trouver sa place si la réservation n’a pas été faite auparavant.

Un izli culte de feu Hammou ou Lyazid dit dans ce sens:

 « Atarbhdadourtakatlbab (S’il te plait ne frappe pas à ma porte)

Awa ilaoubrid ichghal maytrid (La place est occupée et je peux rien pour toi), illustre bien cette situation.

Pour ceux qui passent la nuit, discrétion oblige, en général ils doivent quitter les lieux avant le lever du soleil. Se faire voir sortant d’une maison close le matin n’est pas une bonne chose, surtout lorsqu’il s’agit d’hommes mariés.

Les prestations offertes par ces maisons sont de trois catégories avec possibilité de combinaison entre elles

Il y a la prise de thé ; qui consiste à venir quelquefois en groupe chanter et danser en prenant une ou plusieurs théières de thé. Ce sont des moments de défoulement  qui sont appréciés surtout par les  lycéens et les étudiants. Une cotisation de quelques dirhams chacun, leur permet « asdiqs n walloune », terme qu’emploient les jeunes de l’époque pour designer ces moments de détente chez les filles de joie. Ça arrive qu’une personne aille jusqu’à entretenir une relation sexuelle avec une des filles payée en sus, mais généralement ces séances de défoulement qui ne dépassent guère une ou deux heures se limitaient à la prise du thé et aux chants.

La seconde prestation est purement d’ordre sexuel. Le client est reçu dans cette intention. Une des filles qu’il choisit ou qui est disponible l’accompagne dans une chambre pour accomplir l’acte. Cette prestation ne dure que quelques minutes et correspond bien à son appellation de passe. Le client en effet ne fait que « passer ».

Au-delà de vingt deux heures, c’est « laqsara », prises de thé accompagnée d’amandes, quelquefois brochettes et tagine selon la qualité et les bourses des clients. Les chants et danses  durent parfois jusqu’à minuit. La prise d’alcool est très rare sinon exceptionnelle. Les filles ne doivent pas prendre d’alcool qu’avec des personnes qu’elles connaissent très bien. Et même si ca leur arrivent d’en prendre, elles n’en abusaient pas. La patronne est toujours là pour éviter tout abus.

Après minuit, c’est l’heure des ébats amoureux avec ceux qui ont réservé leur nuitée. Ces ébats durent ce que leur font durer les deux partenaires.

Il arrive que cet emploi du temps connaisse des changements suivant les circonstances. A chaque fête nationale, les autorités de l’époque  faisaient appel à ces filles pour danser en public sur une estrade montée pour la circontance. Là, les filles ne sont plus considérées comme de simples prostituées mais d’artistes  et de chikhate. Les habitants de toute la contrée, hommes et femmes de tous les âges venaient admirer la danse du ventre dont elles excellaient.

Même les respectueux notables des ksars s’arrangeaient pour être dans les premiers rangs, afin de mieux « rincer » leurs yeux. Sékou Assou qui était un jour au prier rang, est resté bouche bée devant la danse de Laghzaoui, au point de perdre son dentier sans qu’il s’en rende compte !

Une femme d’un ksar de Targua ouffela, voulant imiter la danse zayane d’une chikha qu’elle a vu au village pendant la fête et voulant imiter pour son mari la danse de La cikha, est tombée dans « Aragh » (orifice d’aération de l’étable au premier niveau dans les maisons traditionnelle). Elle s'est retrouvée avec un fémur brisé. 

 

 Chapitre 4 : Sfia et ses quelques partenaires.

Quelques mois avaient suffi à Sfia pour établir des relations et se faire des clients fidèles. Elle arrive même qu’elle bloque certaines heures de son emploi du temps qu’elle réserve à ses habitués. Le tout venant n’est reçu qu’on dehors des ces heures.

De ces fideles clients en trouve un boucher, homme mûre et marié qui a chaque fois que Aicha passe chez lui pour acheter de la viande, ne manque pas d’être généreux et d’ajouter après la pesée un morceau de viande en disant à Aicha : « han wine Sfia » (voici celui de Sfia).

Le boucher qui fait les souks environnants, profite de son déplacement hebdomadaire au souk de Mellab qui se tient chaque mardi pour découcher et passer la nuit du lundi au mardi avec Sfia. En plus de sa largesse dans son acte de vente, il laisse un pourboire à Sfia à l’insu de la sa patronne. Voulant le taquiner Sfia lui dit un jour :

On m’a dit que le prix de «lhabra» (filet) est élevé chez-toi, Combien donneras-tu pour ce morceau ? Sfia joint le geste à la parole et donne une tape sur sa fesse.

Tout en posant sa main sur la fesse de Sfia, le boucher lui dit : Pour cet « azouk », (fesse), Je donnerais tout et vendrais même mon champ d’imareghen.

Le deuxième ami de Sfia est un célibataire d’une quarantaine d’année. Un jour après une séance de thé avec trois autres amis à lui, cet homme se retire avec Sfia dans sa chambre. Alors que Sfia allait se déshabiller, l’homme l’invita à s’assoir à coté de lui. Il demande à Sfia, s’il peut avoir confiance en elle ? Sfia qui ne voit pas l’intérêt d’une telle question répondit machinalement, :

Oui, tu peux avoir confiance en moi.

Notre homme sortit de sa poche un coran et lui dit, :

jure-moi que tu ne diras rien à personne de ce que je vais te raconter. Sfia, tout étonnée s’exécuta et jura de garder le secret. L’homme remet le coran dans sa poche, prend la main de Sfia et commença son récit.

Ce que je vais te dire est très important. Si ce n’était pas la curiosité des gens et la pression de mon entourage qui me reprochent de rester célibataire, je terrais ce dont je souffre, mais les gens sont curieux et sont à l’affut de se qui ne les regardent pas.

Je ne comprends pas toujours ce que tu insinues.

À chaque fois que je viendrai, on restera dans la chambre quinze à vingt minutes sans rien faire. À la sortie, je te paierai comme si on avait un rapport.

Et pourquoi ne consommes-tu pas ce pour lequel tu paies ? lui demande Sfia

J’aimerais bien ; mais hélas, de puis mon adolescence, je me suis rendu compte de ma faible virilité. Quelques années après, mon état s’est aggravé au point de manquer complètement d’érection. Ce qui explique pourquoi à quarante années passées, je suis resté célibataire. Maintenant que tu connais mon secret, vas-tu m’aider ? Avant de me répondre, je précise que je viendrai une fois par semaine passer une nuit à tes cotés. Je m’arrangerai à sortir de chez-vous, à une heure où je peux être vu. Je préfère que les gens me traitent d’homme qui fréquente les maisons closes que d’impuissant !

Sfia s’émeut de ce dont souffre l’homme et lui répond qu’elle l’aidera à cacher son impuissance sexuelle.

Sfia et l’homme quittèrent la chambre, l’homme rejoint ses trois amis et Sfifa part pour prendre un bain simulant une relation sexuelle avec l’homme.

Parmi les meilleurs clients de Sfia, figure un jeune instituteur qui projette se marier dans quelques mois. Ses parents lui ont choisi une fiancée qui habite à quelques kilomètres de chez-lui et qu’il n’a pas vu qu’une seule fois lorsqu’il avait accompagné sa mère demander la main de la jeune fille.

L’instituteur n’avait pas connu de filles avant Sfia. C’est un ami à lui qui lui avait conseillé d’aller s’initier et connaitre comment s’y prendre auprès d’une fille de joie.

En découvrant le plaisir de la relation avec Sfia, l’instit devient un habitué de la maison close. Chaque fin de mois, lorsqu’il touche son salaire, il repartie sa paie entre ce qu’il remet à son père et ce qu’il garde comme argent de poche et ce qu’il réserve pour payer Sfia.

Se rendant compte de la « virginité » de son jeune client, Sfia se donna à cœur joie pour apprendre à son client, l’abc des relations intimes.

Ici, chez-nous c’est moi qui suis l’institutrice et toi l’élève. Tu dois bien être attentif et retenir mes leçons lui avait-elle dit.

Le préféré de Sfia parmi tous ses clients est un étudiant. Ce jeune, âgé de vingt deux ans, venait de temps à autre passer des moments de détente chez Aicha. Cet étudiant auquel je donnerais le prénom d’Ali (mon prénom, afin d’éviter toute insinuation), est venu rejoindre pour un moment de détente ses deux amis, Hammou et Moha qui l’ont précédé chez les filles.

En pénétrant à la maison, il trouva une jeune et belle fille qu’il voit pour la première fois en train de pleurer dans un coin. Ali fut plus attiré par la beauté de la fille que par ses sanglots. Il s’approcha d’elle et lui demanda pourquoi pleure-t-elle ?

Un homme vient de me gifler parce que j’ai refusé de réserver de passer la nuit avec lui répond Sfia en sanglotant.

Après avoir reproché à ses deux amis de ne pas avoir défendu la fille, Ali, prenant un air de justicier leur dit

Si ce mec revient, je lui ferai sa fête. Lui l’étranger qui a osé poser sa main sur cette beauté qui est notre hôte !

A cet instant même, on frappe à la porte et on entend quelqu’un appeler : Sfia, Sfia.

Sfia terrorisée regarde Ali et lui dit c’est lui. Ali se lève et se dirige vers la porte qu’il ouvre. Il se retrouve nez à nez avec un colosse moustachu. Ali reconnait en lui le forain qui a installé son manège au centre du village devant l’hôpital rural.

Ali prend son courage à deux mains et dit à l’homme que Sfia n’est pas libre et qu’elle est avec lui pour toute la nuit. Le forain d’un air méprisant lui dit :

Laisse-moi rentrer ou je t’écrase moustique !

Pour toute réponse, Ali lui assène un coup de poing en pleine figure et claque la porte à son nez.

Ok, moustique, j’attends que tu sortes. Je te promets que tu passeras le reste de la nuit sur un lit d’hôpital, lui dit le forain.

Sans lui répondre, Ali regagne le salon où étaient Hammou, Moha et les deux autres filles. Après avoir essuyé ses larmes et lavé son visage, Sfia vient s’assoir tout près d’Ali.

Les trois amis, et les trois filles burent plusieurs théières de thé et s’amusèrent pendant deux bonnes heures sans se soucier du forain. Vers vingt trois heures, lorsqu’ils décident de partir, Sfia, prend peur que le colosse fasse du mal à Ali, et lui demande de rester et de passer la nuit avec elle. Proposition qui plairait à Ali s’il avait de quoi la payer le lendemain. Raison, pour laquelle il refusa de rester. Mais Sfia se met devant lui et lui dit si tu t’en vas c’est moi qui resterai sans sommeil et inquiète toute la nuit. La brute t’attend dehors et tu ne pourras pas le battre. Il va te plier en deux ajoute-t-elle!

Sur insistance de Sfia Ali s’assoie et Moha et Hammou, après avoir payé les théières consommées quittèrent la maison close et laissèrent Ali avec Sfia.

Le lendemain, comme il est de coutume de quitter les maisons closes très tôt, Ali prend congé de Sfia et lui dit avant de sortir.

Je n’ai pas d’argent sur moi. Mais ce soir, je reviendrai te payer.

Non, lui dit Sfia, je ne veux pas que tu me paies. C’est moi qui t’ai retenu et je te remercie de m’avoir défendu. Je n’oublierai jamais ton geste et ton courage.

Apres la sortie d’Ali, Aicha, appelle Sfia et lui dit :

Le collégien t’a payé ?

Non ; lui répond Sfia. C’est moi qui lui ai demandé de rester passer la nuit.

Et tu crois petite naïve que c’est comme ça que tu vas te faire beaucoup d’argent ? Si tu te donnes gratuitement aux collégiens, tu resteras toute ta vie misérable. Après le petit-déjeuner, je te conduirai chez son père je sais où le trouver et tu lui demanderas de régler la nuitée de son fils, lui dit Aicha d’un ton grave.

Attendons au moins le soir, il m’a dit qu’il reviendra me payer répliqua Sfia

Non, dit Aicha. On ira chez son père.

Vers dix heures Aicha et Sfia se présentent devant le père d’Ali. Le père connaissait bien Aicha mais n’a jamais vu Sfia. Il s’adresse à Aicha et lui dit :

« Mata Lkhir a » ? (Qui est ce bien) en faisant allusion à la beauté de Sfia.

« Lkhir a », il faut le payer ! Ton fils a passé la nuit avec elle sans qu’il la paie.

Mon fils passe la nuit avec cette beauté et c’est moi qui dois la payer. Tu vois Aicha, je viens de voir passer le juge Benasser, il est certainement dans son bureau. Emmène la petite déposer plainte pour qu’il la paie !

Reprenant son sérieux, le père d’Ali dit aux femmes qu’il connait bien son fils et que ce dernier ne manquera pas de venir régler sa dette dès qu’il aura de quoi l’honorer.

Regardant Sfia dans les yeux, il lui dit :

Dis-moi petite, Est-ce que mon fils est au moins à la hauteur ?

Sfia baissa les yeux. Aicha éclata de rire et dis au père d’Ali :

Tel fils tel père !

Non. C’est tel père tel fils, répondit le père d’Ali

Tous les trois éclatent de rire et les deux femmes reprennent le chemin de retour vers leur maison.

Vers midi, un ami au père d’Ali qui avait tout entendu, vient trouver Ali et lui dit :

Où as-tu passé la nuit ?

Chez les filles lui répond Ali

Je le savais, puisque Aicha et une nana sont venues demander à ton père de payer ta nuitée chez-elle ?

Les salopes. Elles ont fait ça ?

L’homme raconte à Ali ce qui s’est passé entre son père et les deux femmes.

Le soir, après le diner, alors qu’Ali s’apprêtait à sortir, son père l’interpelle et lui dit :

Tu sors ce soir ?

Oui répondit Ali.

Te reste-t-il encore un peu d’argent de poche?

Non. Depuis une semaine, je n’ai pas un rond ; répond Ali en faisant semblant de ne rien savoir de ce qui s’est passé entre son père et les deux femmes.

Tiens, prends cette « bassima et demi » et vas payer les cafetiers à qui tu dois de l’agent lui dit son père d’un air grave. Ali saisit les trente dirhams que lui tend son père et sort en courant en se serrant les lèvres afin d’éviter de pouffer de rire.

Le soir au village devant le café d’Akka, Ali rencontre Bassou Haddou un ami à lui. Bassou l’invite à prendre un café. Ali lui dit qu’il doit d’abord aller payer une des filles de chez Aicha à qui il doit de l’argent.

Depuis quand tu fais crédit chez les filles lui demanda Bassou ?Je ne fais pas de crédit, lui répond Ali, qui raconte toute l’histoire à Bassou

Tu es fou de la payer maintenant qu’elle est allée demander à ton père. Je vais t’accompagner, tu lui montres l’argent, et tu ne payeras que les deux théières de thé que nous allons prendre.

En voyant Ali rentrer à la maison Sfia prend peur. Ali comprenant sa peur et sa gène, sort de l’argent de sa poche et le montre à Sfia. En présence d’Aicha, il dit à Sfia :

Ce matin, je t’ai promis de venir le soir te payer, mais comme tu es partie les réclamer à mon père, eh bien, de moi, tu n’auras rien !

Sfia qui s’attendait à être punie par Ali sourit et ne dit rien. Elle attend que Aicha quitte le salon pour venir s’assoir à coté d’Ali et lui dire que c’est Aicha qui l’a forcée à aller voir son père. Elle s’excuse et lui demande pardon :

Je n’ai rien mangé depuis ce matin et je m’en veux de t’avoir créé des ennuis avec ton père. Je l’ai fait parce que j’étais forcée par Aicha. A partir d’aujourd’hui je ne prendrai pas d’argent de toi. J’ai réfléchi et j’ai trouvé l’astuce pour déjouer la surveillance d’Aicha. Chaque fois qu’on se voit, je te remettrai de quoi me payer devant la patronne. Je lui remettrai ce qui lui revient et comme ça elle nous laissera en la paix !

Mais je ne peux pas te payer avec ton argent. Je ne peux pas accepter ça. J’ai ma fierté d’homme lui dit Ali.

Alors considère que c’est un crédit que je te fais. Tu me payeras quand tu deviendras « mouâlim »

Bassou qui a tout entendu dit à Sfia

C’est une bonne formule. Tu ne peux pas demander à une des deux filles de me faire du crédit aussi ? Moi-même je suis étudiant comme Ali et je vais devenir bientôt mouâlim.

La réconciliation fut rétablie entre Ali et Sfia au point de devenir de grands amis.

Chaque fois qu’Ali repart à Meknès, Sfia lui remet de l’argent pour qu’Il envoie un mandat à sa mère de Meknès. C’est pour brouiller ma piste et faire croire à mes parents que je suis à Meknes dit-elle à Ali.

A chaque passage chez Sfia, la dette d’Ali s’alourdit ! Tant-pis s’est-il dit un soir. Ne dit-on pas « Kabar ha, tasghar » !

A suivre

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