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SFIA LA COURTISANE (Suite)

SFIA LA COURTISANE (Suite)

Chapitre 5 Tout le monde chez le caïd !

En cette journée du 3 mars, la fête bat son plein au centre du village. Les autorités locales ont tout fait pour que la fête soit au niveau de l’évènement. Le gouverneur est venu de Ksar-es-Souk, le super caïd et les caïds de tout le cercle de Goulmima portent pour la circonstance leurs uniformes de parât. Toutes les troupes musicales et folkloriques de la région sont présentent et les Ahidouss se succèdent l’un après l’autre sous les applaudissements de l’assistance.

Les Ait Morghade de Ghriss, de Tadigouste et de Taghiya dansent sous la conduite de leurs poètes qui improvisent izlane et vantent les autorités pour leur conduite des affaires du pays.

Hro ou Ali à la tête de la troupe n’iquabliyene d’Ait Moch, de Takaterte et d’ighrem exécute sans faute un « Sahi- Lhana » que l’assistance applaudit longuement.

Les Ait Atta de Mellab, d’Oultouroug et d’Igli n’épargnent aucun effort pour que la chorégraphie de Tazahzakiyte se déroule sans fausses notes.

Issemkhane tous habillés de blanc et leurs danseuses drapées d’ »i3bane » de couleurs vives et attrayantes savent marier le folklore gnaoui aux danses locales.

Au son de sa « ghita » le maestro Jbara et sa troupe de 3arb Sbah de Tilouine fait danser aussi bien les jeunes que les vieux.

Après le premier passage de ces troupe et voyant que les chikhates ne sont pas là pour monter sur l’estrade, le Caïd appelle le cheikh du village à qui il ordonne d’aller dire à Aicha et aux filles de se dépêcher avant que le gouverneur reparte.

Chez Aicha c’est aussi la fête. Un groupe d’étudiants ont cotisé pour organiser une après-midi festive chez-elle. Comme ils étaient nombreux, ils avaient demander à Aicha d’inviter d’autres filles pour que la soirée soit réussie.

C’est ainsi qu’aux trois filles d’Aicha sont venue s’ajouter, Yamna et sa sœur ainsi que Pepsi et Laghzaoui qui sont venues de Tinejdad. Dans le salon d’Aicha, tout ce monde ne semble pas gêné par les fumées des brochettes et des cigarettes de Malboro que les filles et les étudiants grillées les unes après les autres. Ça chante, ça danse et ça rit. Tout semble conforme à « asdiqs n’walloune » comme le veulent les étudiants si ce n’est les coups de poings que quelqu’un donne avec insistance à la porte d’entrée.

Aicha demande aux fêtards de baisser la voix et se dirige vers la porte d’entrée.

En ouvrant la porte, elle trouve devant elle le cheikh, tout affolé qui lui dit :

Où sont tes filles Aicha, le caïd les attend !

Toutes les filles sont en voyage. Je suis toute seule à la maison.

Comme tous cheikhs, l’envoyé du caïd, tout en parlant tend l’oreille et entend le tam-tam des bendirs et les chants de ceux qui sont à l’intérieur.

Le caïd ne va pas être content, dit le cheikh avant de reprendre le chemin du retour.

Arrivé devant la tribune où se sont installés les autorités, les notables et les invités, d’un geste de sa main, le cheikh fait comprendre au caïd qu’Aicha et ses filles ne viendront pas.

Après le départ du gouverneur, le caïd appelle le cheikh et lui demande la raison de l’absence de Aicha et de ses filles ?

Tout en rapportant au caïd ce que Aicha lui a dit, il ajoute je pense « a Sidi » qu’elle ment, car dit-il j’ai entendu des voix et le bruit du bendir à l’intérieur de la maison

Ah ah, dit le caïd, Je vais montrer à Aicha qu’on ne badine pas avec le Makhzen ! appelle le champêtre (chanebite) et dis lui de venir avec trois mokhaznis.

Quelques instants après, le champêtre et les mokhaznis se mettent au garde à vous devant le caïd. Prenant son air grave il s’adresse à eux et leur dit :

Vous allez tout de suite chez cette putain de Aicha et vous me ramenez tout le monde sans exception. Je vous attends dans mon bureau.

Chez Aicha, le thé coule à flot, les brochettes continues d’être servies et harkmouzzoune bat son plein et c’est difficilement que Aicha avait entendu les coups de poings que donnaient à la porte le champêtre et Mokhaznis.

Sans attendre que Aicha ouvre complètement la porte, les quatre hommes se précipitent à l’intérieur de la maison et se dirigent vers le salon.

D’un air moqueur, le champêtre s’adresse au groupe d’étudiants et leur dit :

« Tbark-Allah 3la Chabab » (bravo les jeunes). Tout le monde debout et passez devant-nous. Nous vous conduisons chez le caïd !

Aicha essaie de persuader le champêtre de laisser partir les jeunes, mais ce dernier reste intraitable. Les filles et les étudiants furent conduits deux par deux chez le caïd.

La fête venait de se termine , les rues étaient pleines à craquer de monde. La vue des filles et des jeunes escortés par les mokhazni attire de nombreux badauds qui s’éclatent de rire devant ce spectacle insolite

Arrivés dans le complexe administratif, le champêtre fait rentrer tout le monde dans un grand local qui n’a pour mobilier qu’un vieux bureau métallique, un fauteuil et quatre chaises en bois. Quelques instant après, on entend, le bruit des pas pressés du caïd qui disait des paroles inaudibles mais dont le ton traduisait son état coléreux. Avant de pénétrer dans le local, on l’entendit dire :

Ça sera la prison pour tout le monde!

Aicha qui a entendu ce que le caïd a dit, murmura dans l’oreille de Sfia :

Our tfri tingh assa ! (Aujourd’hui, nous sommes dans de beaux draps).

En pénétrant dans le local et à la vue du groupe d’étudiants, le caïd s’arrêta net comme s’il était hypnotisé. Il ne s’attendait pas à trouver parmi les jeunes, le propre neveu du super caïd.

Le moment de surprise passé, il se retourne vers le pauvre champêtre qu’il engueule et à qui il dit:

Ce n’est pas ceux-là que je t’ai demandé de m’emmener!

S’adressant aux filles et aux étudiants, ils leur dit:

Allez, tous dehors, espèces de débauchés !

Tout le monde se bouscule pour sortir du bureau. Dehors, les filles poussent un ouf de soulagement, les étudiants pouffaient de rire.

Qu’allons-nous faire demande un jeune.

On regagne tous la maison pour finir notre soirée lui répond le neveu du super caïd !

 

  Chapitre 6 : Une semaine d’angoisse pour Sfia

-       Depuis un jour, le comportement de Sfia a beaucoup changé. On ne reconnait plus en elle la fille souriante et gaie qu’elle est. Aicha a remarqué la mauvaise humeur de Sfia elle pensait qu’elle est due à une migraine. C’est tout au moins ce qu’elle a dit à Assou Hammou qui s’est plaint auprès d’elle du comportement de Sfia au lit.

Elle était totalement absente ! On dirait que je faisais l’amour à une femme morte, avait-il dit à Aicha.

Le lendemain, Sfia se réveille avec une gueule d’une personne qui a mal dormi et qui s’est levée sur son pied gauche.

Son angoisse monta d’un cran lorsqu’elle découvre son slip et le torchon qui lui servait de serviette hygiénique sans aucune goutte de sang.

Ça fait deux jours qu’elle devrait avoir ses règles. Serait-elle tombée enceinte ?

Pour une fille de joie, deux choses lui font peur et lui donne la frousse plus que tout autre chose. La première est d’être poursuivie pour prostitution. La deuxième est de se retrouver enceinte. Et c’est de cette dernière que Sfia a peur.

Durant toute la nuit Sfia n’a pas arrêté de faire défiler dans sa tête les conséquences d’une telle éventualité. Comment va-t-elle gérer la situation si elle tombe enceinte.

Va-t-elle garder un enfant dont elle-même ne connait pas le père ?

Comment va-t-elle s’organiser pour élever son enfant et continuer à exercer son métier de prostituée ?

Et que sera la réaction de ses parents, lorsqu’ils la verront avec un enfant sans père à ses trousses ?

Des idées noires passent et repassent dans sa tête. Parlant à elle-même, elle murmure, je préfère me tuer que de donner naissance à un enfant illégitime. Elle se lève et se dirige vers son armoire d’ou elle sort une boite. D’un coup elle avale deux somnifères suivis d’une gorgée d’eau, puis s’allonge sur son lit sans même prendre la peine de se changer.

En se réveillant le matin et après avoir constaté qu’il n’y a pas de traces  de sang dans son petit linge, Sfia  s’allonge de nouveau sur le matelas. La tête entre les deux mains, elle essaie de se rappeler quand elle a failli à l’observation de la première règle qu’elle doit observer à fin de chaque rapport avec un homme. Aicha avait insisté pour qu’à chaque rencontre, elle doit quitter son partenaire et doit se laver avec abondance afin d’empêcher la semence du partenaire d’arriver jusqu’à ses ovules. Cette précaution lui a-t-elle dit doit être encore respectée durant la période d’ovulation qui commence à partir du treizième jour après les règles.

 

L’effet des somnifère n’a pas totalement disparu, Sfia qui s’est encore endormie ne fut réveillée que vers onze heures par Aicha.

-         Depuis deux jours ton comportement n’est plus le même, qu’as-tu ? lui demande Aicha.

-         Je suis très inquiète, je devrais avoir mes règles depuis deux jours, lui répond Sfia

-         Ne t’es-tu pas trompée de comptage ?  demande Aicha.

-         Non répond Sfia. Je devrais les avoir depuis avant hier.

-         Reprenant son ton de patronne Aicha lui dit :

-        Tu vas prendre ton petit déjeuner. Après je t’accompagnerai à l’hôpital voir si Sadia l’infirmière a des comprimés qui provoquent l’avortement. Sinon on fera appelle à Itto ou Hro pour te préparer un breuvage à base de Taylaloute et de bouillant d’escargots ! on attendra deux jours et si ça ne donne rien,  la seule solution qui te reste si tu ne veux pas te retrouver avec un bébé dans les bras, c’est de prendre le car et d’aller à Meknès pour subir un curetage ! Seulement pour que tu puisses le faire, il faut que tu sois accompagnée par un homme qui se fera passer pour ton mari !

-         Mais où vais-je trouver un homme qui acceptera de m’accompagner et de prendre ce risque demande Sfia ?

-         D’un air moqueur, Aicha lui dit

-      A Meknès il y a cet Ali que tu reçois chaque fois avec bienveillance. Demande-lui donc de t’accompagner.

-         J’espère que je n’arriverais pas à cette situation. Mais comme je sais que ce que tu me dis là n’est qu’une boutade, je te réponds que cet Ali qui n’a pas tes faveurs ne dira pas non si je le lui demande.

Pour toute réponse, Aicha lui dit :

-         Viens prendre ton petit déjeuner et allons voir l’infirmière avant qu’elle quitte son travail à midi.

A l’hôpital, Sadia  l’infirmière s’apprêtait à partir déjeuner lorsque Aicha et Sfia pénètrent dans la salle de soins où elle travaille. Après l’échange habituel de bisous en signe de salutations, Aicha s’adresse à Sadia en ces termes :

-         Sauve-nous, trouve quelque chose pour que cette pauvre fille ait ses règles. Il parait qu’il y a des comprimés qui provoquent l’avortement.

-         Te rends-tu compte de ce que tu me dis lui réponds Sadia avant d’ajouter. Moi je ne suis pas au courant de l’existence de ces comprimés et si elles existent, je serai la dernière a les donner. La planification familiale  consiste en un travail de prévention en distribuant des pilules et les préservatifs pour éviter des grossesses et non de les interrompre.

-         Que faut-il donc faire demande Aicha

-         Le seul conseil que je peux vous donner est de faire attention à ce que la fille va ingurgiter !

Sur ces paroles les trois femmes quittent le local de soins, Sadia prend la direction de son domicile, Aicha et Sfia regagnent Dart Souk.

Le soir Aicha charge Hammou ou Bassou, un habitué de la maison d’aller voir Itto ou Hro.  Elle lui dit

-         Tu diras à Itto de venir vers onze heures et d’emmener avec elle tout ce qu’il lui faut pour préparer un bon breuvage.

-         Ça sera plutôt vers dix-sept heures car il faut qu’elle ramasse les escargots demain matin, répond Hammou

-         D’accord pour demain après-midi dit Aicha.

Le lendemain vers quatorze heures, Itto ou Hro se présente avec un seau rempli d’escargots qu’elle vient de ramasser et une trousse contenant taylaoule et plein de gris-gris. Elle se retire dans la cuisine et commence à préparer sa potion magique dont la cuisson va durer plus de quatre heures.

Alors qu’Itto ou Hro, continue à faire bouillir son breuvage dans la cuisine, au salon, les filles discutent de tout et de rien pour passer le temps et en attendant que la préparation d’Itto soit au point.

Soudain Sfia se lève et se dirige en courant vers les toilettes

 

-         Elle va vomir dit l’une des filles. Les nausées sont un signe de grossesse !.

-         Pauvre Sfia dit l’autre fille. Elle est vraiment dans de mauvais draps.

Quelques minutes après Sfia revient toute souriantes et dit aux filles :

-         Je les ai  !

Les filles applaudissent et se félicitent. Seule Itto ou Hro ne manifeste pas sa joie. Sfia se dirige vers elle. Elle lui plonge dans la poche de son tablier quelques billets et lui dit :

-         l’odeur de ton breuvage a suffit et a fait l’effet qu’allait faire ta potion magique.

Sfia, toute contente, dit à Aicha :

-         Ce soir c’est moi qui paie le diner et j’aimerais que ça soit un diner aux brochettes.

-         Alors ça sera du « boulfaf » pour compenser le fer que tu viens de perdre lui dit Aicha.

 

     Chapitre 7 : Un dénouement heureux !

-          Des années ont passé, Sfia est devenue Ghrissoise par adoption, les gens la connaissent et les femmes qui devraient la rejeter à cause de son métier de prostituée ont plus de pitié et d’affection pour cette femme qui n’est qu’une victime de l’amour. Elle avait fauté non seulement pour avoir aimé un homme marié mais parce qu’elle s’est donné à cet homme et devenue par la suite sa maitresse. Elle a préféré fuir et tomber dans la déchéance que salir l’honneur de sa famille.

Sfia savait qu’un jour elle n’attirera plus les hommes, lorsque les années marqueront son corps et lui font perdre sa fermeté, aussi s’est elle imposée une conduite très rigoureuse quelques semaine après son arrivée chez Aicha. Elle s’est interdit de fumer et de consommer de l’alcool. La dance du ventre est devenu pour elle un hobby au point où elle est devenue la meilleure danseuse de la région. *

Aux personnes qui lui demandent comment fait-elle pour danser ci bien, elle répond, au début je dansais plus pour entretenir mon corps et garder  sa souplesse que par plaisir. Puis avec le temps, le plaisir a pris le dessus au point où lorsque je danse, je le fais plus pour moi que pour ceux qui me regardent.

Et c’est ainsi que Sfia est devenue la coqueluche de toute la région. Les gens se l’arrachent lors des fêtes de mariages et de baptêmes.  Cette nouvelle activité, lui rapporte plus que son métier de prostituée.

Sans oublier d’envoyer tous les deux mois un mandat à ses parents à qui elle avait dit dans une lettre qu’elle travaille comme femme de chambre dans un hôtel de Meknès, le compte d’épargne qu’elle a ouvert à Goulmima grossi de mois en mois.

Aicha qui sait qu’elle tient en Sfia un vrai « produit d’appel » n’a pas dit non lorsque Sfia lui a fait part de sa décision de limiter ses rapport aux personnes qu’elle choisit.

-         Je ne veux plus vendre mon corps lui a-elle dit. Je veux le faire profiter de ces moments de plaisir. Lui, a tant donné qu’il le veuille ou pas et sans savoir pourquoi. A partir de maintenant, rien ne lui sera imposé, c’est lui qui choisira ses partenaires et non l’inverse.

Un matin, d’octobre, alors que les filles étaient en train de prendre leur petit déjeuner, elles entendent frapper à la porte.

Qui vient frapper à notre porte à cette heure-ci  demande Aicha

En ouvrant la porte, elle trouve le champêtre accompagné de  cheikh qui lui tend une convocation et lui dit

-         Le super caïd t’attend toi etaSsfia. Il faut être dans son bureau dans une heure

-         Qu’a-t-on fait de mal leur demande Aicha

 -         Rien, si c’était le cas on vous conduirait devant nous répond le cheik

Sans savoir l’objet de la convocation, les deux femmes se présentent devant le bureau du super-caïd un quart d’heure avant l’heure prévue. Sans les faire attendre, le super-caïd les fait rentrer et leur demande de s’assoir. Il appelle un mokhazni à qui il demande d’apporter du thé. Regardant Aicha, il lui dit :

-         Ne t’en fais pas je ne vais pas te faire payer le prix de la théière. Chez-moi c’est gratuit !

Les trois éclatent de rire, avant que le super caïd retrouve son sérieux et dit aux deux femmes :

 

-         Dans deux semaines ça sera la fête des dattes à Erfoud. Avec tous les officiels de la région, deux ministres viendront de Rabat assister à la fête. Il y aura toute les troupes folkloriques de la régions, mais en ce qui concerne les chikhates et harakmouzoune c’est toi Sfia qui a été désignée comme chef de fil de la troupe. Dès demain tu dois choisir cinq autres danseuses et commencer à vous entrainer.

Joignant le geste à la parole, le super-caïd tire de son tiroir deux enveloppes. Il remet une à Aicha et l’autre à Sfia en leur disant :

-         Pour toi Aicha, c’est le manque à gagner durant les jours d’inactivité de Sfia. Pour toi Sfia, c’est juste une avance pour payer les autres filles qui danseront avec toi. Le solde te sera remis avant le départ à Erfoud.

A la veille du départ à Erfoud, le super-caïd fait venir Sfia il lui remet l’enveloppe contenant le reste de sa dotation puis lui présente AssouLoutar, un grand artiste d’Azaghar et lui dit :

-         Ce soir j’organise une soirée dans mon jardin. Il n’y aura que quelques convives. Ça sera une séance d’entrainement pour vous les filles et Assou

Quelques minutes ont suffit à Assou et aux filles pour accorder leurs violents. La prestation a tellement plu au super-caïd au point où avant que Sfia reparte, il lui remet une seconde enveloppe et lui dit.

-         Ne vous fatiguez pas trop lors de votre tour de danse en public, une soirée sera organisée à l’hôtel durant le diner officiel et là je veux que vous vous dépassiez et que votre prestation soit de grande qualité.

Durant la soirée, Assou, Sfia et ses filles furent très applaudis.et fèlicités par le gouverneur en personne.

Parmi les convives, un homme n’arrête pas de regarder Sfia. De peur qu’elle le voit et qu’elle soit perturbée lors de sa prestation, l’homme s’est mis derrière un pilier et attend que la troupe termine son tour de chant et de dance.

En regagnant la chambre mise à la disposition des filles pour se changer, Sfia, se retrouve nez à nez avec l’homme qui n’a pas cessé de la regarder. Elle reste un moment figée et sans parole. L’homme qui est devant elle n’est autre que Haddou ou Hro, son premier amour. Elle ne savait quoi faire. Contente de le revoir, mais gênée qu’il la trouve dans de telles circonstances. Haddou lui prend la main et lui dit que depuis le décès de son épouse il n’a cessé de la chercher.

-         Ta maman m’a dit que tu travailles comme femme de chambres dans un hôtel de Meknès. Je t’ai cherchée dans toutes les catégories des hôtel de la ville ismailienne en vain lui dit-il. Je sais que je suis pour beaucoup dans ce que tu es devenue. Aussi à partir de cet instant, je ne te quitterai plus. Je veux que tu retrouves ta dignité et que tes parents cessent de souffrir à cause de ton absence.

-       Moi aussi, j’aimerais rester avec toi, mais laisse-moi quelques jours le temps de régler quelques problèmes personnel à Goulmima. Ne dis à personne que tu m’as retrouvé ni ce que je fais.

-         Non je ne dirai rien. Mais puisque tout le ksar pense que tu travailles à Meknès, dès demain je me rendrai dans cette ville, je louerai un studio où tu t’installeras quelques temps. Après je dirai à tes parents que j’ai retrouvé ta trace et je les emmènerai avec moi. En leur présence je leur demanderai ta main et nous rentrons tous au village.

Sfia toute émue ne put empêcher les larmes qui coulaient sur ses joues dit à Haddou dès que tu trouves un logement envoie moi un télégramme pour te rejoindre. Mais attends-moi au garage car je n’ai jamais posé mes pieds à Meknès.

Sfia s’excuse auprès des membres de sa troupe et sans diner, accompagne Haddou qui comme tous les convives avait une chambre réservée dans cet hôtel.

De retour à Goulmima, Sfia raconte à Aicha ses retrouvailles avec Haddou et lui annonce sa décision de mettre un terme à son métier de courtisane. Tout en lui faisant part de sa peine de la voir partir de chez-elle, Aicha félicite Sfia et lui remet l’avis d’un mandat qui lui est parvenu lorsqu’elle était à Erfoud. Sans accorder beaucoup d’importance au montant du mandat, elle lit la phrase inscrite sur le dos de l’imprimé. « C’est pour qu’on reste de bons amis, que je tiens à ce que les comptes soient bons. Ali »

 

Sfia essuya une larme et dit à Aicha .

-         Ce mot vaut bien plus que de l’argent, je le garderai sur moi et que la poste garde l’argent. Maintenant que ma décision d’abandonner ce métier est prise, je tiens tout de même à te dire, que durant toutes ces années passées et tu connais aussi bien que moi le nombre de clients que j’ai reçus, je n’ai jamais éprouvé le plaisir de faire l’amour qu’avec ce jeune étudiant. J’aurais aimé le revoir ; tout simplement pour lui dire que c’est moi qui lui suis redevable.

Voulant  que son départ soit le plus discret possible pour se rendre à Meknès, et évitant tout risque de se faire reconnaitre par quelqu’un lors de la halte-arrêt qu’effectue le car dans sa localité d’origine, Sfia choisit de voyager la nuit. Le car traverse successivement les villes de Ksar-es-Souk (Errachidia), de  Rich, de Midelt où elle ressent un pincement de cœur, puis d’Azrou et enfin d’El Hajeb avant que le car s’arrête dans un local lui servant de gare routière tout près de la place d’El Hdim.

Haddou est bien là à l’attendre, il range les affaires de Sfia dans le coffre de sa grosse voiture et prend la direction de Sidi Amr où il a loué une garçonnière meublée pour une semaine.

Arrivés à la maison, Sfia demande à Haddou si elle peut défaire ses valises et ranger ses affaires .

Haddou lui apprend qu’il a déjà averti ses parents et que dès demain il partira les ramener à Meknès.

-         Laisse donc tes affaires comme si tu viens de les ramasser pour repartir au village. J’ai dit à tes parents que tu habites ici depuis longtemps. Nous ne resterons dans ce studio que le temps d’établir notre acte de mariage. Après je prendrai deux billets à tes parents pour regagner le village par car. Car nous deux, nous irons en voyage de noces et je te ferai visiter les principales villes du pays.

Le lendemain de l’arrivée de Sfia à Meknès, Haddou l’accompagne pour faire le marché et acheter ce qu’il lui faut durant les deux jours de son absence.

 

Chapitre 8 : Réconciliation et retrouvailles

-       La Maman de Sfia n’a pas attendu que Haddou ouvre le coffre de la voiture pour décharger les bagages, pour se jeter dans les bras de sa fille. La fille et la mère restèrent longtemps l’une contre l’autre et pleurèrent de joie. Le père de Sfia lui reste un peu à l’écart et malgré son effort de surmonter son émotion, essuya discrètement ses yeux. Sfia se dirige vers lui, saisi sa main et l’embrasse.

Dans le minuscule appartement loué par Haddou, Sfia que Haddou a avisé de l’arrivée imminente de ses parents a préparé thé, jus et gâteaux. Son père lui demande si son travail à l’hotel n’est pas trop pénible. Sfia lui répond évasivement en lui disant que ça dépend des jours. Heureusement que son père qui est fellah ignore tout du travail qu’exercent les femmes de chambres dans un hotel. Une question plus précise mettrait en difficulté Sfia qui n’a mis les pieds dans un hôtel qu’une fois lors de la fête des dattes à Erfoud.

Vers seize heures, on sonne à la porte, Haddou se lève pour ouvrir aux deux Adoules à qui il avait fixé rendez-vous avant de voyager pour ramener les parents de Sfia

L’acte de mariage fut établi, et la fatiha lue. La maman de Sfia aurait aimé célebrer l’établissement par un youyou, mais Sfia l’empêche et lui propose de le faire lorsqu’elle retourne au village.

Durant les trois jours qui suivent l’établissement de l’acte, Haddou fait visiter à ses beaux parents successivement Sidi Hrazem et Moulay Yaccoub avant de revenir à Meknès via Immouzer, Ifrane et Azrou.

Le lendemain de leur retour à Meknès, les parents de Sfia repartent par car vers leur village du moyen Atlas et les deux nouveaux mariés tout heureux prennent la direction de Rabat.

Le voyage de noces qui a duré plus d’un mois a permis à Sfia de visiter les villes de Rabat, de Casablanca d’El Jadida et de Marrakech.

Lors du passage à Jamaa El Fna, Haddou a proposé à Sfia de prendre un bol d’escargots que vendait un gargotier sur cette cèlèbre place de Marrakech. Sfia eu un sourire en se rappelant Itto ou Hro et son seau d’escargots qu’elle faisait bouillir pour provoquer les règles.

Haddou qui a vu le sourire de Sfiaa lui compris autre chose. Aussi s’est-il adressé à Sfia en lui disant :

-          Si nous en prenons plus d’un bol, ça sera la fantasia toute la nuit  et tu risques de tomber enceinte de jumeaux !

-         Si c’est vrai, je prendrais trois bols et me passerais du diner, lui répond Sfia

La chaleur de la ville ocre ajoutée à celle du couple eurent raison des amoureux qui ne se réveillent qu’après onze heures le lendemain.

Sfia et Haddou ne regagnent leur village qu’un mois après. Une fête fut organisée chez les parents de Sfia. La soirée fut animée par un groupe de chikhates de Tounfiyte. Sfia aurait aimé danser et re-tonifier les muscles de son corps qui manquent de danse, mais la tradition ne permet pas à une mariée de danser avec les chikhate.

Aussi, s’est-elle contentée de regarder et d’applaudir ces filles qui lui ont rappelé son passé récent.

Pour se détacher de ces souvenirs où se mélangent joie et tristesse, Sfia se penche vers Haddou et lui souffle à l’oreille :

-         Je devrais avoir mes règles depuis avant-hier !

-         Que Dieu fasse que tu ne les aies pas lui dit Haddou avant d’ajouter, C’est le coup des escargots de Jamaa El Fna !

Sfia sourit et dit à voix basse

-         On mange les escargots pour stimuler une grossesse et  on mange les escargots pour provoquer un avortement. Leur qualité d’animal hermaphrodite, qui fait d’eux à la fois des mâles et des femelles, elle-t-elle pour quelque chose dans le pouvoir de faire et défaire les grossesses?

Deux années sont passées après l’installation en couple de Haddou et de Sfia au village. Sfia s’est adapté à son rôle de femme au foyer qu’elle assume pleinement. Elle consacre son temps libre à l’éducation de son petit enfant qui depuis une année a égayé son foyer. L’enfant à qui elle a choisi et donné le prénom d’Ali.

Avait-elle choisi ce prénom par hasard ou en souvenir d’une autre personne qui avait marqué sa vie de courtisane ?

A par Sfia, personne au monde n’a de réponse à cette question.

Ali Ouidani

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