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LE PORTE BONHEUR DE RAHHOU

LES HOMMES DE MON KSAR

LE PORTE BONHEUR DE RAHHOU !

Les nuits hivernales se suivent et se ressemblent à Goulmima. Les femmes sont les plus éprouvées entre les travaux aux champs et les taches ménagères répétitives. Les hommes se contentaient de prendre un bain de soleil sous les remparts du ksar en attendant la nuit pour se retrouver et jouer aux cartes.

Les parties de jeux duraient toute la nuit, les hommes pariaient argent, bien et animaux, tout peut être parié !

Et même si la majorité si ce n’est pas l’ensemble des parieurs n’assistat pas à la dernière prière de la nuit, les rencontres avaient lieu à tour de rôle chez un des joueurs après la prière d’Al 3icha. Il est d’usage que la personne chez qui est organisé le jeu, se charge de s’approvisionner suffisamment en thé et sucre.

En cette nuit de la mi-décembre c’est chez Rahhou que le jei doit ce dérouler. Rahhou était un grand gaillard du ksar qui chaque année après la moisson et le battage de ce que lui produisaient en blé ses petits champs, se rendait au moyen Atlas, du côté d’Azrou pour travailler dans la récolte de ce champignon (lichen commestible) qui pousse sur les troncs des chênes et que nous appelons chez-nous « Tamarte n’Oumghar » (la barbe du vieux). Ce champignpn mélangé à d’autres épices aromatise et donne une bonne saveur aux galettes de pain fourré que les habitants de Ghriss d’apprécient.

En revenant d’un de ses voyages d’Azrou, Rahhou trouva sur son chemin un petit ânon. Il tira de son sac en poils de chèvre un bout de pain sec et le tendit à l’animal qui le happa de sa main. En reprenant sa marche, Rahhou se rend compte que le petit âne le suit au pas. Croyant qu’après quelques kilomètres l’animal va abandonner de le suivre Rahhou continua sa marche en fredonnant certains vers d’izlane des Ait Marghades.

Arrivé à Timahdite et voyant que l’âne est toujours là, Rahhou se résigna de la compagnie du petit âne et décida de le ramener avec lui à Ghriss. Et c’est ainsi que le petit âne dont les poils sont de couleur châtain s’est retrouvé au Ksar de Goulmima.

Après la prière du soir, les parieurs commençaient à arriver chez Rahhou. Quelques instant après avoir pris leurs premiers verres de thé et fumé leur premières pipes d’herbe, les parties de cartes et les paris démarrent et se suivent sans interruption, les gains passent d'un joueur à un autre et l'homme chargé de préparer le thé et de remplir avec du kif les pipes à chaque fois qu'un joueur ait terminé de haler la fumée de cette herbe du Rif surveille du coin de l'œil la régularité du jeu.

Après avoir perdu tout l'argent qu'il avait, Rahhou chez qui le jeu se déroulait misa la cape (Abizar) de son épouse qu'il est allé chercher dans la chambre dans laquelle son épouse dormait. Mais la malchance ne le lâche pas, il perd aussi Abizar.

N'ayant plus rien à miser Rahhou se leva de la natte de jeu et dit aux parieurs qu'il allait faire un tour dehors. Il descend les marches de sa maison tout en pensant à ce qu'il dira demain à son épouse lorsqu'elle constatera la disparition de sa cape.

Arrivé au rez-de-chaussée, il vit que son petit âne s'est détaché de la corde qui l'attachait à son mangeoire. Et pourquoi ne pas miser mon âne se dit-il ?

Aussitôt pensé aussitôt fait. Il saisit son petit âne, le porta sur ses épaules et remonta les marché vers le premier étage où se déroulait le jeu. 

Lorsqu’il arrive auprès dès parieurs et qu'il leur propose de miser son âne, ils pouffèrent tous de rire et l'un d'eux lui dit pour le taquiner: 

D'accord si tu le mises pour la somme de 5 Dourous (l'équivalent de 25 centimes).

Rahhou accepta et met son petit âne en jeu.

Depuis la mise de son bourricot, la chance tourna de son côté. Rahhou gagne partie après partie. Non seulement il récupère Abizar de sa femme et l'argent perdu, mais aussi presque tout l'argent qu'avaient les autres joueurs.

Au premier chant du coq, comme d'habitude, les parieurs arrêtent de jouer et quittent le domicile de Rahhou, laissant ce dernier avec son pactole. Heureux comme il ne l’a jamais été, Rahhou remet discrètement Abizar de sa femme à sa place avant qu'elle se réveille et fait descendre son âne au rez-de-chaussée. il l'attache et lui pose un baiser de gratitude sur le front avant de remonter dormir quelques heures.

A son réveil vers 10h, Rahhou se rend au village avec en poche, une bonne somme d'argent qu'il avait gagnée la veille. il choisit chez le juif qui tenait une boutique de vente de vêtements deux des meilleurs foulards que le commerçant avait dans son échoppe.

De retour chez-lui à la mi-journée, il fait une bonne surprise à son épouse à qui il remet un foulard en soie (Tassabniyte n'lahrir). Il descend au rez-de-chaussée et attache le second foulard sur la tête de son petit âne avant de le conduire boire à l'abreuvoir du Ksar.

Les personnes qu'il croisait sur son chemin en conduisant sa bête vers l'abreuvoir n'arrivaient pas à retenir leurs rires pensant que Rahhou est devenu fou. Ce à quoi il leur répondait en souriant "nek ayd issène" ! (c’est moi qui sait … !).

Ainsi va Ghriss

Goulmima le 24/12/2016

 

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