Lettre ouverte Ă Moha
Par : Moha Moukhlis
Moha Nnegh, azul fellak :
Cela fait plusieurs semaines que je pensais tâĂ©crire cette longue missive pour te demander de tes nouvelles. MĂȘme si la plupart des gens, ici dans la vallĂ©e des Ayt Udrar Meqquren, ont tentĂ© tout pour me dissuader de le faire. Convaincus que ma lettre restera sans suite. Je persiste et je tâĂ©cris pour te rappeler qui tu es et ce que tu es devenu. TâĂ©crire pour soulager ma conscience, assumer ma responsabilitĂ© devant lâhistoire. Je tâĂ©cris pour laisser un tĂ©moignage aux gĂ©nĂ©rations futures. Tu as beau croire que ton ascension est dĂ©finitive, ton aliĂ©nation volontaire confortable, je veux te rappeler que ce nâest quâillusions et mirages. Car le jour viendra, inĂ©luctablement, oĂč tu reviendras au milieu des tiens. Et la honte te survivra. On ne peut vivre, cher Moha, sous une identitĂ© dâemprunt, en portant le masque de la veulerie. Les valeurs qui ont façonnĂ© notre peuple sont immuables, Ă lâĂ©preuve du temps et des contingences mĂ©taphysiques. Je tâĂ©crirai autant de fois quâil le faut, je continuerai Ă harceler ta conscience, tâobliger Ă te regarder en face, devenir ton cauchemar de tous les jours. La nature recouvre toujours ses droits.
Te voila donc, Uma Moha, satisfait de ta nouvelle fonction administrative qui te confĂšre dâĂ©normes pouvoirs dâexĂ©cution. Car les dĂ©cisions te viennent dâailleurs. Tu as Ă©tĂ© promu pour mieux obĂ©ir. Etre digĂ©rĂ© pas la machine du systĂšme. Peu importe le chemin que tu as empruntĂ© pour y arriver. Cela ne peut quâintriguer les vieux de notre village. Mais saches, Uma Moha, quâaussi haut que tu monteras dans la hiĂ©rarchie administrative makhzĂ©nienne, tu finiras un jour, tragiquement, par en « descendre ». Peut ĂȘtre mĂȘme plutĂŽt que tu ne le prĂ©vois. Tu dĂ©gringoleras du sommet pour atterrir ici, Ă cĂŽtĂ© de nous, Ă Tamda. Câest ton destin. Nous te demanderons alors des comptes car tu nous seras accessible, en chaire et en os, nous pourrons te toucher, te regarder passer comme un coupable. Tu finiras par passer inaperçu au milieu des tiens auxquels tu inspireras la pitiĂ©. Anonyme. Tu passeras le reste de tes jours solitaire, abandonnĂ© de tous. Les gens finiront par avoir pitiĂ© de toi et te porteront secours.
Actuellement, tu es hors de portĂ©e. Ton chawch, par lâintermĂ©diaire de ton planton de service, nous dit toujours, Ă chaque visite que nous effectuons Ă ton bureau, que tu Ă©tais soit en rĂ©union, soit en dĂ©placement. Des personnes de chez nous vivant en ville nous ont assurĂ©s quâils te voient rĂ©guliĂšrement passer Ă la tĂ©lĂ©vision. Nâayant ni radio ni tĂ©lĂ©vision, nous ne pouvons ni infirmer ni confirmer leurs propos. Tu passais Ă la tĂ©lĂ©vision du makhzen, muni dâune cravate dernier cri, assis sur un fauteuil pivotant, et Ăąnonnant un discours de bois, dans la langue de Qoraich. Le torse bombĂ©. La langue fourchue.
On nous a affirmĂ©, la main sur le cĆur, que lors de tes passages « tĂ©lĂ©visuels », tu nâas jamais parlĂ© de notre vallĂ©e, si belle, si marginalisĂ©e et si enclavĂ©e entre deux Ă©normes montagnes, isolĂ©e du reste du monde, oĂč la vie sâĂ©coule au rythme de la nature. Tu sais bien que nos sources dâeau commencent Ă tarir et nos puits voient leur rĂ©serve diminuer rapidement. Pour que nous puissions avoir suffisamment dâeau, ta tente Izza, tes cousines Bedda et Qechou ainsi que les autres femmes de la tribu, Ă dos de mulets, parcourent une bonne dizaine de kilomĂštres pour nous approvisionner, en Ă©tĂ©, Ă la seule source qui est situĂ©e en amont de lâAqqa n Tarir. Ils nous ramĂšnent la denrĂ©e rare dans des bidons en plastique, achetĂ©s Ă lâoccasion du souk hebdomadaire qui se tient Ă une journĂ©e de marche, prĂšs du village des Ayt Umalu. Les dĂ©marches dâune ONG pour Ă©difier un barrage collinaire sur lâAsif mellulen, sont restĂ©es sans suite. A cause du gouverneur qui a accusĂ© les bienfaiteurs de tentative de nous christianiser. Ou de nous rechristianiser.
On nous dit que chez vous en ville, il y a des robinets quâil suffit dâouvrir pour avoir lâeau chaude ou froide tous les jours, et Ă chaque heure. Dans ce cas, Uma Moha, dis Ă tes supĂ©rieurs, lors de ta prochaine rĂ©union, de nous envoyer quelques robinets qui font des miracles. Nous tâen serons reconnaissants et nous prierons pour toi Ă lâoccasion de la priĂšre de lâaurore, au moment oĂč les portes du ciel sâouvriront. Tu seras mĂȘme trĂšs gĂ©nĂ©reux si tu arrives Ă convaincre tes responsables de venir nous rendre visite, constater de visu notre situation lamentable. Si vous dĂ©cidez de venir, ce sera en Ă©tĂ©, aprĂšs avoir consultĂ© le service mĂ©tĂ©orologique. Car les orages sont frĂ©quents pendant cette saison. Et nous ne voulons pas endosser la responsabilitĂ© de vous voir emportĂ©s par la crue de lâAqqa Aghzzaf. MĂȘme si, au fond de nous, câest ce que nous vous souhaitons. Ne venez surtout pas en hiver. La route est impraticable. Seul un tank pourrait parvenir Ă la vallĂ©e. A mois que vous ne dĂ©cidiez de vous dĂ©placer par hĂ©licoptĂšre. Vous nous prendrez ainsi dâen haut. Ce sera un Ă©vĂ©nement historique. La vue dâun hĂ©licoptĂšre remonte Ă la pĂ©riode de la rĂ©sistance. Seuls les vieux savent que de tels engins existent. LâhĂ©licoptĂšre vous confĂ©ra une dimension surhumaine. Surnaturelle.
Tes invitĂ©s seront bien accueillis comme le veut notre tradition millĂ©naire. Nous Ă©gorgerons des moutons et vous dĂ©gusterez le mĂ©choui sous la tente. Vous aurez droit Ă un spectacle de danse pour admirer les primitifs que nous sommes. Nâoubliez pas donc de vous dĂ©placer avec des 4/4 japonaises et un service sanitaire complet. Vous risquez toujours dâattraper des maux de tĂȘte en raison de lâaire pure de nos montagnes qui risque de dĂ©stabiliser vos cervelles polluĂ©es par lâhypocrisie, la « civilisation » orientale et le mensonge.
Je te supplie, Uma Moha, de faire lâimpossible pour venir, au nom des interminables kilomĂštres que tu faisais pieds nus, grelottant de froid quant tu revenais du collĂšge des Ayt Umalu passer les vacances dâĂ©tĂ© chez nous Ă tamazirt. Dis Ă tes invitĂ©s de ne pas endosser leurs costumes en venant. La poussiĂšre rougeĂątre de notre vallĂ©e les salira. La piste que vous emprunterez, notre unique lien avec le monde extĂ©rieur, sâest relativement dĂ©tĂ©riorĂ©e ces derniĂšres annĂ©es, Ă cause des crues ravageuses de lâAqqa n Ulili. Ce nâest pas de notre faute. Au cas oĂč des problĂšmes surviendraient, vous terminerez le voyage Ă dos de mulets. Nous avons pris nos prĂ©cautions.
Dâautres personnes « importantes » sont dĂ©jĂ passĂ©es par cette piste. Pour des raisons autres. Elles nous ont promis de la goudronner, transformer notre vallĂ©e en paradis sur terre. Nous attendons toujours.
En fait, ne parle pas Ă tes invitĂ©s de la route. Cela risque de les dissuader de venir. Parle leur plutĂŽt de nos coutumes de « sauvages », de nos croyances dĂ©suĂštes, de notre gĂ©nĂ©rositĂ© sĂ©culaire et de notre stoĂŻcisme atavique. Inutile dâĂ©voquer devant eux les camions « Ford » rouges que nous utilisons comme unique moyen de transport, entassĂ©s au milieu du batail, de sacs de blĂ© et de charbon. Encore que ces moyens de locomotion ne sont pas rĂ©guliers. Ils ne sont disponibles que deux fois par mois, suivant les saisons, la sĂ©cheresse, la mĂ©tĂ©orologie et nos bourses.
A propos des moyens de transport, Uma moha, ils nous coĂ»tent les yeux de la tĂȘte. Nous payons le chauffeur au retour du souk, aprĂšs avoir vendu quelques poules et les Ćufs collectĂ©s durant deux semaines. Ce qui constitue un fardeau lourd pour le budget familial. Pour louer une « corsa », encore faudrait-il arriver Ă toucher le propriĂ©taire de la Land Rover, le pris rĂ©clamĂ© est exorbitant. Dâailleurs nous ne louons une « corsa » que dans des situations critiques ; lorsquâune personne est gravement malade ou quand une femme Ă des difficultĂ©s pour accoucher.
Notre calvaire ne se limite pas au transport. Il nous faudrait soudoyer les barrages de contrĂŽle sur la route et nous en sortir Ă lâhĂŽpital oĂč nous sommes accueillis comme des Ă©trangers. Les responsables de lâhĂŽpital rodent autour de nous comme des voleurs. Le personnel mĂ©dical nous jette des regards mĂ©prisants et les personnes chargĂ©es des urgences nous parlent brutalement en arabe, la langue que le makhzen voudrait nous imposer pour nous exprimer. Ils leur arrivent mĂȘme de nous insulter en arabe, reprocher au patient en arabe, en proie Ă des coliques atroces, dâĂȘtre tombĂ© malade. Certains nous crachent dessus. Un ou deux billets suffisent Ă les rendre doux comme des agneaux. Pour cela nous nâhĂ©sitons pas Ă vendre nos agneaux.
Tu sais, Uma moha, que notre infirmier de la vallĂ©e, originaire de KelĂąat Sraghna, un digne descendant des Banou Hilal, une tribu arabe connue pour ses mĆurs bĂ©douines et sa cupiditĂ© insatiable, ne dispose pas de salle dâaccouchement. De toutes les façons ses compĂ©tences se limitent Ă nous administrer des « piqĂ»res ». Il n y a ni mĂ©decin ni sage femme. Notre « hĂŽpital » se rĂ©duit Ă une piĂšce exiguĂ«, en prĂ© fabriquĂ© de couleur rouge, qui se transforme en glaciĂšre en hiver et dont les murs sont barbelĂ©s et couverts de « papiers » relatifs aux diffĂ©rentes campagnes de vaccination, Ă©crits dans une langue incomprĂ©hensible pour nous, accompagnĂ©s dâimages insolites.
Notre infirmier nâest pas encore rĂ©gularisĂ©, nous dit-il. Ce sont les gens de la vallĂ©e qui le prennent en charge, Ă tour de rĂŽle, au mĂȘme titre que la jeune institutrice. Elle, originaire des Rhamna, apprend Ă nos enfants des choses Ă©tranges : de longs poĂšmes en arabes Ă apprendre par cĆur, dont le sens Ă©voque pour nous des contrĂ©es lointaines oĂč sĂ©vissent les orgies dâalcool de dattes, le vent chaud, les razzias et les tempĂȘtes de sable, en plus dâun penchant bestiale pour la sexualitĂ©. Pour son argent de poche, notre infirmier, le pauvre, nous vend des mĂ©dicaments. Un ami Ă moi mâa appris que câest le makhzen qui les lui donne, dâautres nous disent que câest lui qui les achĂšte en pharmacie pour nous les revendre, histoire de nous rendre service. Ces derniers temps, il passe son temps Ă rĂąler, insulter ses supĂ©rieurs. Il dĂ©sire rentrer en ville, avoir sa mutation. Il serait, Uma Moha, au cas oĂč tu serais intĂ©ressĂ©, prĂȘt Ă verser une grande sommeâŠIl te communiquera les dĂ©tails Ă ton arrivĂ©e.
A prĂ©sent, revenons Ă tes invitĂ©s, si tu arrives bien sĂ»r Ă les convaincre de lâutilitĂ© du dĂ©placement et des indemnitĂ©s qui lui sont corollaires. Alors, nâoublie pas de leur rappeler quâil faudrait venir de jour. Comme tu le sais, nous nâavons pas encore dâĂ©lectricitĂ© dans la vallĂ©e et la lumiĂšre des bougies et des lanternes nâest pas suffisante pour que nous puissions vous regarder au fond des yeux, afin de croire ou ne pas croire tout ce que vous allez nous promettre. Sâils te disent quâils sont occupĂ©s le jour et quâils ne pourraient venir que la nuit, alors tant pis, ou tant mieux. Avec un peu de chance et la pleine lune aidant, tout se passera bien. Ils auront lâoccasion dâapprĂ©cier le calme et le silence de notre vallĂ©e, le hurlement de nos chacals, le bruit du vent sur nos chĂȘnes, la clartĂ© de notre ciel bleu et le scintillement de nos Ă©toiles. Nous leur expliquerons que les Ă©toiles filantes sont des jets de feu jetĂ©s par les anges sur les diables qui tentent dâaccĂ©der au secret du crĂ©ateur. Dis leur de ramener avec eux du papier hygiĂ©nique au cas oĂč ils auront envie de faire leurs besoins. Ca se passera loin des agglomĂ©rations, au flan de la montagne et ils en profiteront pour sentir la fraĂźcheur de nos nuits.
Nous ferons un effort pour les Ă©clairer au gaz, si nĂ©cessaire. Ils pourront ainsi nous programmer sur la liste des prochaines vallĂ©es Ă Ă©lectrifier. Ils nâauront pas Ă ramener les fils Ă©lectriques qui dĂ©figureront le paysage. Jâai entendu dire que le soleil fera lâaffaire et ce ne sera pas cher surtout par ces temps de sĂ©cheresse endĂ©mique. Que Dieu soit clĂ©ment envers nous.
Oh ! Uma Moha ! Comment veux-tu que Dieu soit clĂ©ment envers nous ? Le comportement des gens de la ville est irritant. Il parait quâil jette la nourriture dans des poubelles. Dâautres personnes vivent de ces poubelles. Sâentretuent pour une barre de fer ou un morceau de pain. Tu sais que la situation chez nous est diffĂ©rente : le reste de la nourriture on le donne au voisin, sinon il sert Ă nourrir le bĂ©tail. Quant Ă la viande, nous en mangeons rarement et nous pouvons aussi la conserver pour les jours de disette. Je voudrais te dire un mot sur notre instituteur Brahim ou Ali. Contrairement Ă lâinstitutrice qui tabasse nos enfants pour un rien, il est aimĂ© de tous. Il est de la confĂ©dĂ©ration des AĂŻt Yafelmane avec lesquels nous sommes liĂ©s par le traitĂ© de Tada, que tu devrais connaĂźtre puisque câest ton oncle Bassou ou Nbark qui en prĂ©side le cĂ©rĂ©monial. Il connaĂźt lâhistoire de nos tribus, nous parle des Ă©vĂ©nements de Addi Ou Bihi et de Abdelkrim El Khattabi le rifain, de Massinissa, Dihya, ChĂ©chong, et mĂȘme de Ababou. Câest grĂące Ă lui que nous rĂ©ussissons Ă dĂ©mĂȘler les files de la politique et de notre histoire malmenĂ© par Pachas et les foqaha de la Qaraouine de FĂšs.
Lui, il est presque sĂ»r quâil ne sera jamais mutĂ©. Son directeur, originaire de Wazzan, lui rend visite deux fois par mois et sa visite se termine par des avertissements et des vocifĂ©rations inintelligibles. Il reproche Ă lâinstituteur son honnĂȘtetĂ© et franc parler vis-Ă -vis du ministĂšre de tutelle. Il nous a affirmĂ© que pour avoir une mutation, droit lĂ©gitime rĂ©glementĂ©, il faudrait se transformer en mouchard, lĂ©cher les bottes Ă ses supĂ©rieurs, prĂ©parer le mĂ©choui pour les inspecteurs pour pouvoir ĂȘtre « pistonnĂ© ».
Je me chargerai, personnellement, de te le prĂ©senter, Ă toi et Ă tes invitĂ©s de marque. Il parle tamazight comme toi et comme nous tous. A la diffĂ©rence que lui, il en est fier, alors que toi, tu en as honte et tu prĂ©fĂšres baragouiner dans la langue dâAbou Nouas. Ton accent trahi tes efforts ridicules et tu deviens la risĂ©e de tes collĂšgues. Tu aurais donnĂ© tout pour changer dâappareil phonatoire, remplacer ton nom emblĂ©matique par un autre « moderne ». Je serais aussi heureux de te prĂ©senter Assou ou Ali nâAĂŻt Lhou, Heddou Qessou nâAĂŻt Umur et Idir ou Ali nâAĂŻt Uzighimt. Ils ont terminĂ© leur Ă©tudes il y a plus de cinq ans et ils trainent, sans espoir, dans la vallĂ©e, du lever du soleil jusquâau soir. Assou prĂ©tend connaĂźtre Ă fond la nature de nos pierres et de notre terre. Il nous explique la formation de notre vallĂ©e, la fertilitĂ© de son sol et les bienfaits de nos plantes. Nos trois diplĂŽmĂ©s ne savent quoi faire. Ils rĂȘvent dâun emploi en ville car ils nâont plus la force de labourer les champs, irriguer ou moissonner nos lopins de terre et nos vergers ravagĂ©s par les attaques des sangliers qui dĂ©barquent en troupeau chaque nuit. Les sangliers sont protĂ©gĂ©s, Uma Moha. Nous ne pouvons les tuer. Ni les mangers car câest religieusement illicite. Le garde forestier veille Ă leur respect au sein de la rĂ©serve qui surplombe nos vallĂ©es. Ils sont sous haute protection et nous sous haute surveillance. Les mains des Ă©tudiants sont fragiles. Comme toi, ils espĂšrent, un jour, vivre dans une villa avec interphone et piscine, une voiture de service et un chauffeur. Ils fument et nous avons peur quâils « contaminent » les jeunes de la vallĂ©e.
Alors je te demande, Uma Moha, de me tenir au courant de votre dĂ©cision et mâinformer du jour oĂč tu nous honoreras de ta visite avec tes illustres invitĂ©s. Nous aurons lâoccasion de discuter largement du reste de nos problĂšmes. Tu vois bien que je nâai touchĂ© ni au caĂŻd, ni au chikh, ni aux moqaddems ni au prĂ©sident de la commune. Tout un dossier sombre vous attend. Jâai pris lâinitiative, pour cette heureuse occasion, dâinviter nos aĂšdes. Ils composeront des poĂšmes en votre honneur. Je leur ai suggĂ©rĂ© de parler des batailles de Baddou, de Bougafer, de Lehri et de Tazizawt. Ils nous rappelleront les sacrifices de nos parents pour la libertĂ© et lâindĂ©pendance, les traĂźtres et les collaborateurs. Ils citeront leur nos si vous le souhaitez. Vous servirez dâinterprĂšte traducteur Ă tes invitĂ©s.
Uma Moha,
Tu vas prendre ta retraite et tu viendras continuer ton Ćuvre de renĂ©gat et de mouchard au service du makhzen. Prostituer ta culture, dĂ©vier les jeunes filles. Tu pactiseras avec le pacha et le Khalifa contre les tiens. Tu combattras ceux qui luttent pour la dignitĂ© de la tribu. Tes oreilles sont devenues des antennes paraboliques au service des agents de lâautoritĂ©.
Tu frĂ©quentes la mosquĂ©e pour mieux arnaquer. Tu es devenu hadj ; titre honorifique penses-tu. Tu casses les dĂ©cisions de lâassemblĂ©e pour satisfaire le caĂŻd. InstallĂ© dans le confort tu ronronnes un discours morbide contre ton identitĂ©
Vous avez rĂ©ussi, dans des conditions surrĂ©alistes, Ă ĂȘtre Ă©lu et accĂ©der ainsi au statut de « dĂ©putĂ© de la nation ». Vous avez constatĂ©, par vous-mĂȘme, lâabsurditĂ© de la propagande que vous avez menĂ©e, face Ă lâindiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale des citoyens auxquels vous inspirez la pitiĂ©. Votre immunitĂ© en tant que parlementaire est acquise grĂące Ă la contribution consĂ©quente des Moqadem qui vous ont soutenu ostensiblement. Et votre premier rĂ©flexe, une fois Ă©lu, a Ă©tĂ© de changer votre numĂ©ro de portable. Histoire de ne pas ĂȘtre embĂȘtĂ© par les requĂȘtes des dizaines de citoyens auxquels vous avez fait des promesses. Au sein de lâhĂ©micycle, tu as rĂ©alisĂ© que ton prĂ©tendu « pouvoir » est plus que dĂ©risoire : un maillon insignifiant de la chaĂźne. Câest ce que nos aĂšdes ont toujours pensĂ©. Et ils le rĂ©citent Ă chaque occasion : dans les fĂȘtes au village et dans les souks hebdomadaires.
A prĂ©sent tu as honte de rendre visite aux tiens « Ă dĂ©couvert ». Câest au milieu de la nuit que tu dĂ©barques furtivement dans notre village, pour le quitter au lever du jour. Comme un voleur. Tu as mĂȘme poussĂ© la veulerie trĂšs loin et tu tâes accoquinĂ© avec une bande de rapaces pour spolier les terres de notre tribu. Des dizaines de familles se sont retrouvĂ©es privĂ©es de leurs pĂąturages, si vitaux Ă leur cheptel. Unique ressource dont ils disposent. Et Ă chacune de leur manifestation lĂ©gitime et pacifique, tu cautionnes lâenvoi des « forces de lâordre » qui se chargent de les mater au grand jour.
Pour nous « civiliser », car tu penses profondĂ©ment que nous sommes arriĂ©rĂ©s, tu as implantĂ© une Ă©cole dĂ©diĂ©e Ă lâarabisation de notre communautĂ©. Tu appelles cela, la lutte contre notre analphabĂ©tisme endĂ©mique, convaincu que la langue de Ben Laden sera notre clef dâaccĂšs Ă lâEden.
Cher moha,
Nous avons appris aussi que tu siĂšges Ă la commission de la justice. Laquelle sâest prĂ©cipitĂ©e pour condamner tes cousins, Bassou ou NâBark, Ichou ou Hssaine et Yidir ou Moha Ă cinq ans de prison ferme : leur seul tord est dâĂȘtre des amazighes qui refusent de voir leur langue â lâunique langue que tes parents parlent - et leur identitĂ© amazighes combattues et stigmatisĂ©es. Votre commission les a accusĂ©s dâatteinte Ă la sĂ©curitĂ© de lâEtat et dâatteinte Ă la langue sacrĂ©e de Qoraich.
Tu as brillĂ© par ton silence face Ă la dĂ©tresse de tes frĂšres dâAnfgou et de MâSemrir. Et tu Ă©vites dâĂ©voquer le sort rĂ©servĂ© Ă ceux de Ben Smim. Ta moitiĂ©, une andalouse disent tes parents, tâapprend les bonnes maniĂšres : renier les tiens, dilapider les deniers publics et ironiser sur les « chleuh ». Câest une femme civilisĂ©e, penses-tu, qui fume des pĂ©tards, te sert des apĂ©ritifs et tâoblige Ă porter le tarbouch turc qui, selon nos poĂštes, te donnes les allures dâune cigarette blonde. Elle sâappelle Chems Addoha, mais nos aĂšdes la trouvent monstrueuse, en raison dâun excĂšs de testostĂ©rone qui lui fait pousser des moustaches et les poils partout. Ils vont loin et estiment que câest une crĂ©ature diabolique qui tâensorcelle chaque nuit avec les recettes des foqaha de la qaraouine.
(A suivre)
RĂ©ponse d'Ali Ouidani : Moha ne va-t-il pas retrouver la raison, la fiertĂ©, le courage et la sagesse de ses ancĂȘtres ?
Je ne désespÚre pas, tant qu'il continue à s'appeler Moha.
(Moha on attend la suite)